Dans son bureau, Grégoire regardait pour la énième fois la vidéo de leur visiteuse. Qui était cette brune ? Que voulait-elle ? Pour qui travaillait-elle ? La Golf GTI de l'espionne avait été volée dans le parking de la station où il avait fait un arrêt. Avait-elle un lien avec le motard l'ayant suivi ? Probablement, le hasard n'existait pas ! Le véhicule avait été abandonné sur un chemin de campagne parallèle à la station-service, la moto avait dû patienter sur la bande d'arrêt d'urgence ou dans un semi-remorque. Les caméras de surveillance dans un périmètre proche avaient été piratées, donc aucun moyen d'en savoir plus sur la brune. Là, c'était du lourd, pas un amateur ! Depuis quelques jours, la situation avait une fâcheuse tendance à se compliquer. Antony Duras, la légionnaire, la visiteuse, Adrian ! Le premier avait été éliminé. Il les avait bien eus avec son air innocent, mais il aurait dû adapter une meilleure sécurité en voulant pirater le système informatique de Ventia-Corp. Quel abruti ! La légionnaire n'était plus son problème, mais désormais celui d'Adrian. Il était vexé que son employeur lui ait imposé ce play-boy chasseur de prime. L'excès de moyens trahissait la sécurité du complexe Morphéus. Il était certain qu'il devait abriter un secret important, mais lequel ? Il l'ignorait et ne chercherait pas à le découvrir. Il avait une réputation à tenir, il ne voyait rien, n'entendait rien, ne savait rien !

Il devait tendre un piège à la brune. Coupure d'électricité, panne du sas overlack ? Elle n'avait aucun moyen de lui nuire, mais elle risquait d'attirer l'attention. Comme un ricochet de caillou sur un lac, au début ce n'était rien, mais plusieurs pouvaient déborder sur la rive.

Marcher l'aidait à réfléchir. Il se leva pour quitter son bureau.

Il croisa bientôt l'usine de fabrication de lits thérapeutiques HDC où il stoppa près de la baie vitrée pour regarder les techniciens assemblant machinalement les pièces. Aucun ne pouvait supposer ne servir que d'alibis ! La société-écran engrangeait des gains, mais uniquement afin d'assurer l'existence réelle de la vente de produits HDC.

Personne ne pourrait soupçonner l'existence d'un ascenseur menant au complexe Morphéus. Pour la simple raison que le seul accès se trouvait derrière l'armoire dans son bureau ! Grégoire songea à son enrôlement, il avait émis plusieurs désaccords en découvrant l'étendue de la sécurité de Ventia-Corp. Puisque la société était un leurre, pourquoi afficher autant de protection ? Il n'était parvenu qu'à empêcher les rondes extérieures par des gardes armés. Au début, une armada de techniciens, ingénieurs, n'avait cessé de traverser son bureau pendant de nombreux mois. Une nouvelle lignée étrange se mêla à la première, une jeune femme au nom d'Enea, deux hommes Gecko et Marcel. C'étaient leurs véritables prénoms, ils n'avaient même pas tenté de changer d'identités. Ils étaient si communs, un geek, une fille timide. Par contre le dernier, Gecko Archieri n'était pas à prendre à la légère. Ce malfrat était célèbre dans le milieu de la contrefaçon, du vol d'objets de collection. Son regard, sa prestance animale déplaisaient à Grégoire. Aucun bonjour, ni au revoir, ni merci, le jeune homme l'ignorait tout simplement. Que pouvaient faire ses trois compères au cours de leur passage rapide d'une ou deux heures ?

Seule la hausse brutale de l'électricité démontrait qu'ils œuvraient à quelque chose. Comme cela puisait dans le groupe électrogène, panneaux solaires, personne à l'extérieur ne s'en apercevrait. Un signal de coq rompit ses pensées, il vérifia le message sur son portable, trop bien, j'ai mon permis ;). Il provenait de Louise, sa fille habitait avec son ex-femme à Lorient en Bretagne. Il était aussi intransigeant en affaire, qu'en rapport amoureux. Grégoire n'occupait son esprit qu'à une seule chose. Il ne commettait jamais d'erreur professionnelle, spéculait à toutes les éventualités. Il bougeait les pions sur un échiquier ! En contradiction de la vie de couple où il ne pouvait détenir toutes les cartes. Le mariage était un contrat, à la vie à la mort. Il avait toujours refusé de signer les papiers de divorce. Elle le connaissait suffisamment pour ne pas insister. Caroline l'avait remplacé pour un avocat qui tout comme lui à l'époque était peu présent. Fatalité ou hasard du destin ? Il avait apprécié sa compagnie, elle était bonne cuisinière, pas très bavarde ! Il ressentit le goût de la choucroute dans son palais, elle savait la préparer. Tout comme un contrat, il était passé à un autre. Il ignorait comment classer Louise. Il était peu coutumier de se soucier d'un autre que de lui-même. Elle n'occupait pas l'intégralité de ses pensées, mais il appréciait de recevoir des nouvelles, émoticônes, vidéos, partage de photos. Il songeait à partir en vacance en compagnie de sa fille, à Noël ou l'été prochain ? L'aimait-il plus qu'elle? Quelle importance, ils se souciaient l'un de l'autre ! Il stoppa en apercevant un agent de la sécurité adossé contre le mur, il visionnait quelque chose sur son portable. Grégoire pressa son oreillette pour se connecter au chef de la patrouille intérieur.

— Monsieur Stevenson, qui patrouille dans la zone C ?

— C'est Jefferson, monsieur De Monfoit.

— Ventia-Corp lui est désormais interdit, qu'il quitte immédiatement les lieux.

— Qu'a-t-il fait ?

— Exprimeriez-vous un désaccord, monsieur Stevenson ?

— Ce n'est pas ça, monsieur, mais sa mère est décédée voilà peu. Alors...

— Et alors, quoi ? Ce serait la coupe du monde de foot, il serait autorisé à regarder le match !

— Soyez conci...

Grégoire mit un terme à la conversation. Personne ne pouvait discuter ses ordres ! Il était la voix de la sagesse, il prenait toute décision définitive ! La seconde chance n'existait pas, Stevenson serait renvoyé à la fin de la semaine.

Grégoire prit la direction de l'escalier pour se rendre au QG des patrouilles, il rappellerait à Stevenson les doctrines d'une sécurité impeccable avant de lui annoncer la navrante nouvelle de son renvoi !